Après quelques dizaines de pages pendant lesquelles j’ai été empreinte d’un puissant sentiment d’étrangeté dû à l’utilisation omniprésente d’un lexique qu’il m’a fallu apprivoiser, – le glossaire en fin de roman ayant été la boussole nécessaire pour m’y retrouver -, j’ai été complètement happée par le récit extrêmement riche que nous livre ici Léonora Miano.
Nous entraînant en Katiopa, nouvelle Afrique désormais au centre du monde qui a connu, depuis le XXIème siècle, et ce en un siècle, diverses migrations, surtout européennes, Rouge impératrice est tout autant un récit d’anticipation et de géopolitique qui imagine un autre possible, que celui d’une passion amoureuse dont les machinations politiques sont la tragique conséquence, ou encore celui d’un mysticisme en filigrane, au centre également de ce nouveau monde qui parvient tant bien que mal à se construire tout en essayant d’éviter les erreurs du passé.
Car c’est surtout, à mon sens, de cela dont il est question dans ce roman : comment ne pas céder, en raison de l’ironie de la situation qui voudrait que les anciens colonisateurs deviennent les nouveaux migrants, au travers somme toute humain du désir impérieux de vengeance à l’égard de l’ancien bourreau en se comportant à l’identique ? Et c’est en cela que le personnage de Boya, à la fois porte-parole des Fulasi, immigrés français que Katopia désire exiler, et citoyenne de ce même état dans lequel elle va prendre de plus en plus de place en raison de son amour pour Illunga, chef du gouvernement, sera celle qui offrira une nouvelle voie, loin des antagonismes primaires, à cette nouvelle société en devenir.
En plus de cette densité de genres, de thèmes, de protagonistes et de points de vue, ainsi que des nombreuses réflexions qui incombent de cette densité, Rouge impératrice est également servi par une voix remarquable, mêlant avec beaucoup de cohérence et de maîtrise écriture poétique, notamment des corps et des sens, et description totalisante, plus « scientifique », d’un monde certes imaginaire, mais malgré tout plausible du fait de cette profusion de détails sur le monde imaginé.
En somme, Rouge impératrice a été un très bon moment de lecture, et est, pour l’instant, mon coup de cœur de la rentrée littéraire 2019. J’avoue que je serais particulièrement ravie si son auteure parvenait à décrocher le Goncourt, étant toujours actuellement en lice dans la sélection.
Je remercie les éditions Grasset de m’avoir permis de découvrir ce roman via Netgalley.
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